La ligne Saint-Trojan - Maumusson ...
Passe de la Vigne Américaine
Au PK 2,5 (Point Kilométrique 2,5), certains voyageurs peuvent être
surpris de voir indiquer sur une pancarte « Passe de la vigne
américaine ». Non, les américains n’ont pas débarqué en Oléron et
implanté leurs vignes californiennes dans l’immédiate après guerre… En
observant de plus près les abords de la voie, particulièrement à
l’automne, vous constaterez que des plants de vigne ont colonisé des
chênes verts et des acacias, allant jusqu’à les recouvrir presque
entièrement et certains d’entre eux portent même des grappes. Si vous
vous enfoncez à pied sur le chemin de la vigne américaine, au
carrefour des pistes en calcaire, vous trouverez trace de l’ancienne
combe aux peupliers qui est atteinte elle aussi du même symptôme : la
vigne grimpe aux arbres.
La vigne, une culture ancestrale
La culture de la vigne en Oléron remonterait à la fin du IIIème
siècle, lorsque l'empereur romain Probus a autorisé tous les gaulois à
faire du vin. Au XIIème siècle, la viticulture est une activité
économique très importante dans l’île, le commerce avec l'Angleterre,
suite au mariage d’Aliénor d'Aquitaine avec Henri Plantagenet, est
florissant. Celui du vin est alors à l'origine de la rédaction des
Rôles d'Oléron (droit maritime), qui s'étendent progressivement à
toute l'Europe.
Ainsi, les oléronais produisent en 1880, entre 630 000 et 720 000
hectolitres, sur 15 000 hectares plantés du nord au sud. Le vin blanc
de Saint-Trojan a la réputation d’être le meilleur de l’île.
Une catastrophe économique
Le phylloxéra de la vigne, est une espèce d'insecte homoptère, sorte
de puceron ravageur de la vigne. Le terme désigne aussi, par
métonymie, la maladie de la vigne causée par cet insecte. Le
phylloxéra (Dactylosphaera vitifoliae (Fitch)), famille des
Phylloxeridae, fut déterminé en 1868 par Jules Émile PLANCHON qui lui
avait alors donné le nom de Phylloxera vastatrix parfois encore
utilisé aujourd'hui. L'insecte est originaire de l'est des États-Unis
et a provoqué une grave crise du vignoble européen à partir de 1863,
où il est apparu dans le Gard. Il a en effet fallu plus de trente ans
pour la surmonter, en utilisant des porte-greffes issus de plants
américains naturellement résistants au phylloxéra. En 1869, Victor
PULLIAT crée la Société régionale de viticulture de Lyon et prône par
des conférences et des cours le greffage sur porte-greffes résistants
pour régénérer la vigne française attaquée par le phylloxéra.
Lorsque le phylloxéra provoque ses ravages sur le territoire
continental, les oléronais pensent être épargnés par l’épidémie.
Malheureusement, ils doivent déchanter car le phylloxéra (transporté
par le vent ou plus probablement par « les pierres à macadam »
destinées aux chemins de l’île), apparaît dans le vignoble dès 1883.
En 2 ou 3 ans, les communes du Château, de Dolus et de Saint-Pierre
sont dévastées, les communes de Saint-Georges et de Saint-Denis sont
moins touchées. Seules les vignes de sable, qui donnent du vin blanc,
résistent.
Un visiteur, Arsène DUMONT, démographe de son état, dans son ouvrage «
Essai sur la natalité aux Iles de Ré et d’Oléron », publié en 1890,
fait le constat suivant :
« Avant l’invasion du phylloxéra, la prospérité était inouïe. En
cinquante ans, la valeur des terres avait quadruplé, la quantité du
vin exporté quintuplé, et son prix était devenu triple. « On ne savait
que faire de son argent ». Entre 1886 et 1892, un tiers des vignes est
arraché. (…). Les propriétaires sont tombés dans la gène (…). A
Saint-Georges, j’ai vu vendre 200 frs, un hectare de terre qui, dix
ans plus tôt, valait cinq ou six milles francs ».
Les pépinières de Saint-Trojan
Pour lutter contre ce fléau, deux pépinières sont créées en 1884 par
l’administration des forêts. Un visiteur, Victor-Eugène HARDOUIN-DUMAZET,
rédacteur en chef du journal « La Charente » décrit dans son ouvrage «
Quinze jours dans l’Ile D’Oléron » publié en 1886, sa visite des
pépinières :
La première est située non loin du bourg en bordure de la route
empierrée qui conduit à la Grande Plage. Elle est consacrée uniquement
au vignoble français : « J’ai remarqué là, parmi les cépages, les
suivants :
Communs de la Gironde : Salle Rouge, Saint-Macaire, Manein, Fer
Gironde ; Cépages de la Gironde : Pignon, Gros Verdot, Petit Verdot,
Merlot, Cabernet Lamoignon, Cabernet Franc, Malbec Margaux, Malbec
Blayais ; Cépages de Lot-et-Garonne : Gros de Judith, Plant des Dames,
Castets ; Cépages du Midi : Balzac d’Oléron, Petit Bouchet, Alicante
Bouchet, Carignan, Aramon, Œillade, Chasselas ; Cépages blancs de
Sauternes : Semillon, Sauvignon ; Cépages blancs des Charentes :
Jurançon, Jacot d’Oléron, Folle Verte, Folle Jaune. ». Plantés dans un
sable profond contenant deux tiers de silice, les vignes françaises
résistent mieux au phylloxéra.
La deuxième, plus vaste (3 hectares), est située dans « La Combe aux
Peupliers », elle est « spécialement consacrée à la vigne américaine.
Tous les cépages ou à peu près y sont représentés (Estivallis,
Labrusca, Riparia et Cordifolia). Ce qui frappe tout d’abord, c’est
l’extraordinaire vigueur de la végétation. (…). Il y a notamment des
Riparias tomeuteux superbes. Le sol tout entier disparaît sous les
rameaux luxuriants. (…). La pépinière est surtout destinée à fournir
des boutures, sur lesquelles on pourra, plus tard, enter nos cépages
français. » En 1888, les besoins en boutures sont tels, que
l’administration décide de l’agrandir pour y introduire d’autres
productions américaines : Taylor, Norton, Jacquez, Rulander, Herbemont…
Elle est alors rebaptisée « Pépinière de la Vigne Américaine ».
L’après crise
En 1902, le vignoble oléronais s'étend sur 3 910 hectares, soit quatre
fois moins que vingt ans auparavant ! En 1979, on compte 1 845
hectares de vignes. Actuellement, La production oléronaise est en
moyenne un peu inférieure à 6 000 hectolitres sur environ 750 hectares
de vignes partagées entre les caves particulières et la coopérative.
Outre le pineau et le cognac qui demeurent les fleurons de cette
viticulture, les producteurs se sont reconvertis vers des vins de pays
de bonne qualité.
Prospections de l'INRA et préservation de l'ONF
En 2014, une équipe de l’INRA et du Conservatoire du Vignoble Charentais est venue faire un premier inventaire des espèces repérées sur le site de la Vigne américaine. En 2016, une deuxième prospection a permis d’identifier 46 espèces morphologiquement différentes, dont 36 présentent un caractère original et dont une quinzaine ont été extraites pour les « doubler » et les transférer à l’INRA de Montpellier et de Bordeaux. Des échantillons sont prélevés pour réaliser des génotypages à l’INRA de Montpellier.
Une convention doit être établie entre le Conservatoire du Vignoble Charentais et l’ONF afin de préserver ce site et éviter que les peupliers supports des vignes ne soient coupés.
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